Terre Inter-dite
Dix écrivans algériens parlent de l'enfance... de Dominique le Boucher co-édité avec les  Ed. Barsach d'Alger. 200p

"Comme tout titre Terre inter-dite n' échappe pas à la règle de la conjugaison entre l'explication et l'énigme: on y entend simultanément l' interdiction et le dialogue. Ce sont bien ces dix écrivains qu'il faut lire pour aller à la rencontre d'une Algérie multiple, au creuset de trois composantes essentielles: l'enfance, l'exil et la mémoire.

Dix écrivains et écrivaines d'Algérie... mais il ne faudrait pas oublier la onzième qui mène le jeu : Dominique Le Boucher justement née en 1956 dans la banlieue parisienne et qui ne conduit pas par hasard ces lectures et entretiens. "Nos exils mis ensemble constituent le terrain d'envol de nos rêves d'enfance partagés", écrit-elle car sur son parcours de l'enfance à l'âge adulte, elle a rencontré ces voix fraternelles qu' elle a choisi de tresser dans cet ouvrage pour que s'entende, selon les mots de Mounsi "une légitime différence" et que puisse se revendiquer "une conscience cosmopolite" à partir d'un ancrage, la terre d' Algérie.

Christiane Chaulet-Achour


Oeuvres étudiées ou citées.
Ch.1 : D'enfances algériennes
Leïla Sebbar, Une Enfance algérienne, textes inédits de 16 écrivains algériens, Ed. Gallimard, 1997. Leïla Sebbar, Malek AlloulaJamel Eddine Bencheikh, Roger Dadoun, Jean Daniel, Habib Tengour, Mohamed Kacimi-El-Hassani
Ch.2 : Enfances de femmes
2.1. - Hélène Cixous, Pieds nus, Une Enfance algérienne.
2.2. - Leïla Sebbar, Si je parle la langue de ma mère.Les Temps Modernes, 1978. Le corps de mon père dans la langue de ma mère. Cahiers Intersignes, 1991. Le Baiser, Ed. Hachette, 1997.
2.3. - Annie Cohen, Viridiana mon amour, Une Enfance algérienne.
 2.4. - Nina Hayat, La Nuit tombe sur Alger la Blanche, Ed. Tirésias, 1995.
Ch.3 : Enfances migrantes
3.1. - Ahmed Kalouaz, Quel Temps fait-il dehors ? Ed. Paroles d'Aube, 1997.
3.2. - Mounsi, La Noce des Fous, Ed. Stock, 1990. La Cendre des Villes, Ed. Stock, 1993.Territoire d'Outre-ville,  Ed. Stock, 1995.
3.3. - Moussa Lebkiri, Une Étoile dans l'Oeil de mon Frère, Ed. L'Harmattan, 1989. Bouz'louf, Tête de Mouton, Ed. Lierre et Coudrier,1991.
Ch.4 : le voyage
4.1. - Nabile Farès, Le Miroir de Cordoue, Ed.L'Harmattan, 1994. La Mémoire des Autres, Une Enfance algérienne.
4.2. - Abdelkader Djemaï, Sable Rouge, Ed. Michalon,1996.
4.3. - Mohamed Kacimi, Naissance du Désert, Ed.Balland, 1992. Points de suspension : "Pour en finir avec
                    l'enfance"- Jean Sénac, Ébauche du Père, Ed. Gallimard, 1989.


 Dans son livre intitulé Terre Inter-Dite, l'écrivaine Dominique Le Boucher invite dix écrivaines et écrivains d'Algérie à parler de leur enfance. Une enfance bercée, pour la plupart d'entre eux, par l'innocence et l'exil. Dominique Le Boucher est passée, en 1996, de la peinture à l'écriture.
Auteur de romans et de contes, elle est aussi critique littéraire dans la revue Algérie Littérature / Action des éditions Marsa chez qui elle a publié Jean Pélégri, L'Algérien 2000. Dans ce métier depuis trois ans, elle est responsable de la rédaction et cocréatrice des éditions Chèvre Feuille étoilée et de la revue Etoiles d'Encre qui paraît en France et en Algérie. A travers Terre Inter-Dite, l'écrivaine a donné la parole à une Algérie multiple et contradictoire. Dominique Le Boucher n'est jamais venue en Algérie et pourtant elle s'est intéressée au sort et à la destinée de grandes plumes algériennes ayant révolutionné le domaine littéraire. «On pourrait s'étonner, écrit Christiane Chaulet-Achour, que Dominique Le Boucher ait trouvé son matériau de rêve et de transfert dans la rude réalité des ghettos périphériques des immigrés et des laissés-pour-compte de la société française. Pour l'auteur, il n'y a pas d'embellissement dans l'écriture ou la création, mais réaction de légitime défense.» Détenteurs, pour certains, d'une double culture - ces écrivains, nés entre les années 1937 et 1955 -, ils ont écrit pour raconter leur vécu. Parmi les signataires des deux rives, citons Leïla Sebbar, Nina Hayet, Hélène Cixous, Annie Cohen, Moussa Lebkiri, Ahmed Kalouaz, Nabil Farès, Abdelkader Djemaï, Mohamed Kacimi El Hassani et Mounsi. Le livre est compartimenté en quatre chapitres dont «D'enfances algériennes», «Enfance et femmes», «Enfances migrantes» et «Le Voyage». Dans le premier chapitre «D'enfances algériennes», sont répertoriés des textes sous des symboles maternels forts : la mère comme la terre symbolique, l'Algérie creuset de cultures et de langues. Dans cette problématique, l'écrivaine a tenté de souligner la variété des registres d'écriture «qui vont du ton élégiaque au ton tragique en passant par l'humour, le lyrisme et le bouffon». Le deuxième chapitre est consacré aux femmes. Il s'agit plus exactement d'entretiens personnels qu'a eus Dominique Le Boucher avec certaines femmes écrivains. Elle nous fait entrer dans une Algérie où l'intime se dévoile. A titre d'exemple, Leïla Sebbar estime que c'est toujours l'ambivalence de l'exil qui est envisagée, l'exil comme perte de l'origine arabe. Hélène Cixous affirme, pour sa part, qu'on ne peut atteindre l'Algérie dans son mystère que par des moments circonscrits, des épiphanies. Le troisième chapitre renseigne sur les enfances doubles. Il s'agit d'écrivains nés en Algérie au seuil des années soixante qui ont eu à goûter aux souffrances à peine déguisées, la difficulté d'insertion ici, là-bas, nulle part... Enfin, le quatrième chapitre est consacré aux écrivains du... voyage dont Abdelkader Djemaï, Mohamed Kacimi El Hassani, Nabil Farès. Ce dernier déclare que l'Algérie est une sorte de réel, impossible à mettre en commun. Chacun est remarqué par les points de mise à mal et de catastrophe, le travail serait de parvenir à les réunir.
Par Nassima C.

 Une partie de la vie consommée que tout un chacun possède d'ailleurs et qu'il y revient par pur réflexe, face à un fait ou produit du moment présent en quête d'un coconing. Sauf que pour ces érudits de leur art, ce voyage dans le temps n'a rien de réconfortant :un bout de la vie, son début marqué par L'envers de l'amour, la haine en l'occurrence subie par ces gamins d'ailleurs et qui sont aujourd'hui ces dix écrivains de l'exil.
Une poignée d'hommes et de femmes dont une partie d'entre elle s'est vue déchue de ses droits et mise en quarantaine par la horde coloniale et une autre qui s'est vue mêlée à cette masse humaine entassée dans les quartiers ghettos français. La Seconde Guerre mondiale était alors bien finie et le nazisme jugé par l'opinion mondiale comme crime contre l'humanité. Comme l'explique si bien le terme latin “inter” éloignement et séparation lorsque ces Algériens évoquent leur enfance, ils parlent unanimement d'un mal qu'ils ont en commun,à savoir cet arrachement brutal de leur terre.
Un pays natal, une mère nourricière pour les uns,aux vagues souvenirs de paysage dont l'immensité et la beauté sauvage, subtilement parfumé de “basilic” n'inspire qu'à la liberté et juste une culture pour les autres, avec toutes ses composantes sociales, présente telle une sœur aînée tant désirée par leurs parents de l'avoir parmi eux.
A travers ces témoignages émouvants où l'Algérie dans son “immensité territoriale” se peint et se dépeint au gré des souvenirs lointains et confus, telle une aquarelle vivante et fantasmagorique, un cri, un appel de ces dix éditeurs se fait entendre face aux exactions commises par la bête terroriste en Algérie car, si le colon ou l'étranger a volé leur enfance et posé un sceau sur leur langue d'expression (écrite ou orale) l'immonde terroriste descellera à jamais les barreaux de leur mutisme, leur permettant ainsi d'exprimer leur juste pensée, essence même de leur existence et de revendiquer leur légitime différence sur la terre de France porteuse d'une société qui se veut et se proclame comme étant cosmopolite.
“Terre inter-Dite” ,de Dominique Le Boucher, critique littéraire dans la revue “Algérie littérature/Action” des éditions Marsa, responsable de la rédaction et co-création des éditions Chèvre feuille étoilée est française d'origine, artiste-peintre céramiste qui s'est découvert un autre don, celui de l'écriture, un art et un savoir que nul ne pourra contester après la lecture de cet ouvrage : un véritable chef-d'œuvre où les amoureux des livres seront subjugués par le raffinement de cette plume, la fluidité du texte et le délicieux jeu de mots homophones.
Et aux bons férus de la langue de Molière, salut !
Djaouida Arras . Journal El Watan. Alger

Lettre de Jean Pélégri , Paris, Vendredi, 21, décembre 2001

Chère DO,
J'ai lu avec grand intérêt plusieurs textes de votre Terre inter-dite et à vous lire on se rend compte que vous en savez souvent plus que nous. C'est donc un travail utile. Avec un titre cassé, comme vous aimez le faire, et une sorte d'Euro en bas à gauche. Quelle prémonition !
J'ai lu en particulier ce qui concerne Jean Daniel. A l'époque des classes terminales il y avait, en France comme en Algérie, un fort courant antisémite qui se manifestait par des défilés accompagnés de crachats et de cris de haine. J. D. en souffrait sûrement, et c'est sans doute pour cette raison, parce que j'étais fortement chrétien, que je me suis assis au premier rang à côté de lui. La racaille était derrière et il m'est souvent arrivé de prendre à partie un insulteur de Jean dans un couloir du Lycée. A la ferme il y avait une pièce qui nous servait de repli aux heures chaude, avec des gants de boxe accrochés au mur, et il m'est arrivé d'être mis K. O. par un camarade algérien.
L'autre chance que j'ai eue, c'est de rencontrer un père jésuite. Je lui avais dit que j'admirais les grands rassemblements des nazis et il m'avait fait venir dans son bureau. Il avait ouvert un gros livre, Mein Kanmpf, et il m'avait demandé de lire certaines pages. Elles étaient féroces. Je lui dois donc beaucoup. Il faisait des conférences tous les quinze jours et j'appréciais son courage.
Jean Daniel s'appelait en réalité Jean Bensaïd (en arabe le “ fils de Saïd ”) et l'on comprend qu'il ait voulu changer son nom pour Daniel, un des plus grands prophètes juifs qui est reconnu à la fois par les Chrétiens et les Juifs.
Plus tard, à la ferme, j'ai découvert André Gide, et j'ai recopié des pages entières des Nourritures terrestres, puis Jean-Jacques Rousseau et Paul Valéry que je me récitais au bord de l'oued.
Enfin mon père parlait arabe et dans sa dernière nuit il a dans son sommeil parlé arabe.
Comment l'oublier ?
A bientôt et bon courage. Jean